Pyramide inversée

Pyramide inversée

Comment devrait-on s'occuper des plus jeunes et des plus âgés dans des sociétés où les structures familiales et les rôles évoluent ? Le projet Soccare (New Kinds of Families, New Kinds of social Core) a étudié, en s'appuyant sur de nombreux entretiens, les nouveaux besoins créés par ces changements. L'une des équipes (1) a analysé plus précisément les familles multigénérationnelles . La coexistence de quatre - voire cinq - générations devient, en effet, un phénomène relativement fréquent en Europe. Celuici entraîne de nouveaux rôles, qui pèsent notamment sur les femmes appartenant à ce qu'on appelle la génération-sandwich . Mères ou grand-mères, celles-ci sont à la fois responsables de jeunes enfants et de parents âgés.

Le double front

Cette prise en charge, menée sur un double front, souvent éprouvante, fatigante et stressante, n'est pas sans conséquences sur la vie familiale. Pour les chercheurs de Soccare, les rapports entre partenaires sont transformés, non seulement par le poids symbolique et matériel de cette prise en charge, mais aussi en raison de l'effet nécessité par l'acquisition de nouvelles compétences. Il leur faut s'inventer réciproquement un nouveau rôle dans leur relation (2). Quant aux enfants, comme il est plus facile de les faire garder que d'envoyer quelqu'un auprès de leurs grands-parents, ils peuvent eux-mêmes en pâtir - et le sentiment de culpabilité qui en découle est donc facile à imaginer... Vis-à-vis des aînés, ces nouveaux rôles ne sont pas non plus nécessairement aisés à assumer.

L'enfant devient le parent, responsable, et vice versa. La qualité de la relation originelle peut être décisive. Si elle a toujours été positive, il y a plus de chance que la gratitude de l'enfant envers son parent allège le poids de la responsabilité de le prendre en charge (2).

Cette tâche est néanmoins souvent acceptée par manque d'alternative. La personne âgée refuse de partir dans une institution - ce que la plupart des familles comprennent.

Un mixte de services

Les solutions apportées aux aînés varient à travers l'Europe, tant en raison des traditions culturelles que de l'efficacité des systèmes sociaux. La Finlande est le pays où, grâce à des aides à domicile efficaces, un très grand nombre de personnes âgées sont autonomes et vivent seules (42 % des hommes et 80 % des femmes de plus de 75 ans). Le Portugal, à l'autre extrême, est celui où l'autonomie est la moindre (les proportions étant alors de 16 % et 33 %). Ici, comme en Italie, les familles se font aider par des personnes appartenant souvent à l'économie informelle. En France, une aide publique spécifique (l'Allocation personnalisée autonomie) offre différents types d'assistance (ménagère, soignante...) permettant d'éviter le séjour en institution.

La plupart des familles européennes recourent à un mixte entre les aides publiques, souvent bien organisées, et des systèmes divers qui peuvent prendre la forme de services gratuits mis sur pied par des associations de volontaires. Ce recours croissant à des non professionnels peut être interprété comme une réponse à des besoins non satisfaits par l'aide sociale publique, mais aussi par une volonté de trouver des solutions plus flexibles et plus personnalisées. De tels systèmes ont l'avantage de laisser la gestion des soins à la famille elle-même. (2)

Proportion entre les plus jeunes et les plus âgés
UE 25, États-unis et Japon - 2000-2050
Fig.1 Proportion entre les plus jeunes et les plus âgés UE 25, États-unis et Japon - 2000-2050
Groupe de population active les plus jeunes (15-24 ans)
et les plus âgés (55-64 ans) - UE 25 - 1995-2030
Fig.2 Groupe de population active les plus jeunes (15-24 ans) et les plus âgés (55-64 ans) - UE 25 - 1995-2030
Évolution de la population européenne
(UE 25, par groupe d'âge (1950-2050)
Fig.3 Évolution de la population européenne (UE 25, par groupe d'âge (1950-2050)

Modèles contrastés

Un des groupes de travail du projet Care Work in Europe a, pour sa part, étudié la situation des aînés en Suède, en Espagne et au Royaume-Uni (3). L'objectif était de comparer les différents types d'aides proposés, la formation et les conditions de travail des soignants, les souhaits des familles et des personnes âgées. Ces trois pays, différents d'un point de vue économique et socioculturel, offrent des contrastes intéressants. La responsabilité publique entre fortement en compte en Suède, où des services locaux - et payants - se sont développés au cours des années soixante. Ce travail social est devenu, au fil du temps, de plus en plus structuré et hiérarchisé. Le personnel, très bien formé, est encadré par des gestionnaires qui ont un réel statut de manager.

L'Espagne est plus centrée sur la solidarité familiale, mais développe depuis peu des services de soins répondant à des normes nationales, capables de répondre à des demandes plus lourdes et plus complexes, complètent la prise en charge familiale. Au Royaume-Uni, des personnes de qualification très différentes (mais dont le niveau général de formation progresse) assurent diverses prestations, aussi bien dans le secteur résidentiel qu'à domicile. Une grande partie de ce travail est accompli par des associations de volontaires.

Profil des care workers

Dans ces trois pays, le profil type du care worker est celui d'une femme d'une quarantaine d'années (dont les enfants peuvent se débrouiller). La grande majorité des professionnels interrogés par les chercheurs dit avoir de bonnes relations avec les personnes âgées dont ils s'occupent ainsi qu'avec leur famille - ils considèrent d'ailleurs souvent que le soutien à la famille fait partie de leurs responsabilités. Parlant de leur travail, les Britanniques pointent l'importance de la communication, l'empathie, la patience, l'écoute, le sens des responsabilités, l'art de ne pas compter son temps. Les Espagnols se centrent également sur des valeurs affectives et la qualité des relations tandis que les Suédois mettent en avant le savoir, les compétences dans le domaine de la santé, l'expérience basée sur la connaissance .

Beaucoup d'entre eux soulignent la complexité d'un travail qui pose souvent de nombreux dilemmes : être efficace tout en étant à l'écoute des demandes de la personne âgée, jongler avec le travail administratif et les tâches pratiques, essayer de construire des relations personnelles en disposant de peu de temps... Bon nombre pense également que leur travail n'est pas socialement reconnu. Pourquoi ? Sans doute parce qu'il est invisible et associé à un faible niveau de qualification. Parce qu'il s'agit d'une activité sans résul-tat , et qui n'est donc pas considérée comme prioritaire. Parce que l'image de la vieillesse est plutôt négative. À cela on peut ajouter que - excepté en Suède - leurs salaires sont bas, pour des tâches exigeantes, tant sur le plan physique que psychologique, et qu'il existe peu d'opportunités de promotion dans ces métiers.

Et pourtant... Alors que la responsabilité des services publics est quasi généralisée dans le secteur de l'enfance, il faudra bien qu'elle intervienne plus concrètement dans le domaine de l'aide aux personnes âgées, quel qu'en soit le coût.

  1. Quatre groupes de recherche ont travaillé dans cinq pays (Finlande, France, Italie, Portugal, Royaume-Uni) sur les questions qui se posent plus particulièrement aux cellules monoparentales, aux couples cumulant deux activités professionnelles, aux familles d'immigrés et à celles regroupant plusieurs générations.
  2. Rapport final d'un des groupes du projet : Trifiletti Simoni e Pratesi - Care arrangements in double front carer families.
  3. D'autres équipes de Care Work ont étudié la prise en charge des jeunes enfants et des personnes handicapées au Royaume-Uni, Danemark, Pays-Bas, Espagne, Suède et Hongrie.
  • Publié: 06/12/2018 14:06
  • Par Mark Andris
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